Il est 22h29, toutes les données sont entrées dans l’ordinateur, le télescope peut bosser pour un bout tout seul et Daniel veille. J’en profite pour aller faire quelques photos. Je suis assis dans une vieille Fiat Punto tout seul dans le noir. Dehors les clics de mon appareil et tout autour le silence, les étoiles et mon ami Atacama.
J’ai lu dans tous les bons livres sur les extraterrestres (je recommande en particulier " L’enquête " du journaliste français Stéphane Allix ou, en anglais: « Abduction » du psychiatre John Mack) que les petits verts kidnappent des spécimens de notre espèce dans des lieux isolés lorsque les dits abductés sont seuls et dans le noir. Mon pote Jôôôl qui en parle si bien que l’on pourrait penser qu’il a plané parfois avec les ET me le confirme: « seul dans le noir » ;-) Moi, en patientant entre chaque photo de mes deux boîtiers, je suis seul dans le noir. J’ai bien essayé de scruter entre le Scorpion et la Croix du Sud d’un côté et entre Véga et Le Cygne de l’autre: rien ! Pas un seul signe (heuh … non l’autre ... c’est l’autre) de mes potes de tout là-bas. Pas un vaisseau hyper rapide, pas une lumière, pas même un clin d’oeil. Bon, alors c’est pas nouveau: j’ai suffisamment couru seul dans le noir entre Echallens et Fey, Etagnières ou Goumoens-le-Jux (quand j’étais petit je pensais que c’était un nom inventé pour faire peur aux citadins de Pully) pour savoir que c’est pas tous les soirs que l’on monte dans la soucoupe ... même si on aimerait bien ... Mais là, tout de même: je suis au milieu de l’Atacama, il fait méga-giga-tera noir, on est trente gusses perdus sur une montagnes à minimum 100 bornes du premier humanoïde. Il y a juste un observateur au télescope suisse, et moi et moi et moi, et moi je suis dehors, seul dans le noir, paumé au milieu de rien avec la radio que j'ai piquée à Daniel en me disant que si il m’arrive un truc méchant au moins je pourrai l’appeler … même si il pourra pas ni m’entendre ni me répondre … car j’ai sa radio … D’ailleurs, là dehors, seul dans le noir, j’ai souvent imaginé, juste pour me faire peur, des scénarios de morts vivants et autres grosses bêtes moches qui ravirait mista Bouche my friend ;-) J’ai même des fois un peu flippé en pensant au puma qui traîne pas loin dans la région. Ici ils l’appellent « le chat », mouais … un bien gros chat quand même.
Si on revient à ma non-abduction, la conclusion est moche. Soit les extraterrestres n’existent pas et alors comme le disait si bien Jodie Foster dans le film « contact » que je vous oblige à voir illico si vous êtes passé à côté de cette merveille: « ce serait un beau gâchis d’espace ». Soit, pire encore de mon point de vue, les verdâtres sont là tout partout autour de moi qui suis seul dans le noir et ils me regardent … J’aime mieux pas savoir ce qu’ils se disent, se chuchotent ou se télépathisent sur moi et nous tous, sur nos exoplanètes et nos soucis assez Terre à Terre. Cela pourrait être des conversations télépathiques du genre: « t’as vu ces guignols, l’autre jour ils pensaient que leur bille était une crêpe et là ils se vantent d’une technologie exceptionnelle pour espérer trouver une autre Terre, on est là les gars Houhou … Allo la Terre ! » Bon bref, ils pourraient bien être là tout autour de moi seul dans le noir et juste se dire que j’en vaux tout simplement pas la peine. Ben c’est vrai quoi, est-ce que moi, la quarantaine guettante et la barbe poussante, je vais sautiller derrière chaque mouche pour l’étudier ? Bah non ! Si je croise un os de dinosaure, une pépite d’or ou un élève qui dit « Bonjour Monsieur », fait toujours tous ses devoirs, lève la main avant de faire une remarque pertinente et qui plus est ne se fait pas lyncher par ses camarades, là ça devient intéressant ! Mais moi, bah je vous le dis, les extraterrestres ils veulent pas de moi, même seul dans le noir … et ils ont bien raison car y’en a plein d’autres qui veulent de moi, même seul dans le noir ;-)
Je passe des heures dehors tout seul dans le noir, dans l’obscurité totale. Là haut, la Voie Lactée resplendit. Dès ma première sortie j’ai découvert comme une évidence pourquoi les Grecs ont appelé notre galaxie la Voie Lactée: ce ne peut en effet être que l'énorme et opulent sein magnifique d’Héra qui a pu déverser tant et tant de lait. En sortant la première nuit à Paranal, je ne vous le cache pas, mes premiers mots ont été, pris d’émerveillement, violemment grossiers. Large comme une autoroute, le chemin du lait prend ici tout son sens et je me noie dans mille et mille étoiles.
Emblématique, la Cruz del Sur m’explose elle aussi par son éclat et je fais sa connaissance en lui passant à l’occasion les bonnes salutations de Jean-Luc ;-)
Mythiques, les nuages de Magellan, le Grand (LMC) et le petit (SMC) m'apparaissent. Ils sont bien plus grands qu’imaginés et se distinguent non loin de l’horizon en début de nuit. Valsant avec la Croix du Sud, il y a là certainement des vies qui nous épient, … je leur fais un clin d’oeil et poursuis mon chemin nocturne: « vaaaa pensieeeeero » dirait mon ami Bruno ;-)
En revenant sans cesse à ma Croix comme un phare et pendant que mon appareil photo compte des séries de trente secondes pour immortaliser la scène, je repère Acruz, Mimosa, Gacruz et ∂Cruz.
Nuit après nuit, partant de là, je migre dans le ciel: le Centaure enveloppant la Croix, le Compas, le Triangle Austral, l’Oiseau de Paradis (quelle imagination ces navigateurs), … Au zénith, inattendu, le Scorpion, magnifique alors même que dans nos contrées il peine à se faire remarquer au dessus de l’horizon, il se magnifie ici et Antarès rougie de plaisir a de quoi faire pâlir Mars. N’ayant pas d’étoile polaire dans l’hémisphère sud j’en viens à mon moyen perso de repérer l’axe de rotation de la Terre: ce sera aux quatre cinquièmes de la ligne joignant la Cruz del Sur au Petit Nuage de Magellan, et voilà. Véga, Dénéb et Altaïr formant le Triangle d’été de l’hémisphère Nord pointent ici bien bas sur l’horizon: la Lyre, le Cygne et l’Aigle ne sont pas reconnues ici comme des vedettes.
Au très petit matin, après une nuit d’observation, voilà le Taureau et Orion le Chasseur … santé Arielle, très bon ton vin ;-), tout deux sens dessus dessous. Les sept soeurs: les Pléïades, elles aussi sont toutes retournées de cette folle nuit avec moi. Perdu dans le désert du Salar de Uyuni, j’ai l’incroyable chance de pouvoir suivre une soirée astronomie, certes en allemand, mais avec Monssssieur Claude Nicollier, mon ami des hauts plateaux et des ciels clairs ;-) Suspendu à ses lèvres et suivant le laser que d’habitude je tiens pour mes élèves, ici c’est moi qui regarde et me tais en bravant le froid dans les chaussettes en laine d’alpaga. Pôle sud, équateur céleste, nuages de Magellan, Scorpion, … et enfin Claude pointe le Sagittaire magnifique, mon signe … si on en croit les charlatans … moi je me dis Serpentaire, Ophiucus ou Esculape …
Cada noche, descubro esto cielo increíble y intento de encontrar la alma de las estrellas para mi amigo Pancho el Loco ;-)
Vous pensez bien, j’ai fait mille et mille photos … sérieux, entre les timelapses et les photos, je dois en avoir fait pas loin de 10’000 ! Seul, dans le noir, ou avec Julien à Paranal, ou encore avec Alessandro à San Pedro, … J’ai aussi eu la chance incroyable d’être invité par Sergio, astrophotographe ambassadeur de l’ESO et conférencier de l’un des ateliers d’astrophotographie à un atelier d’astrophotographie à Santiago. Je me retrouve au 31è étage d’un building. Là, incroyable, je rencontre deux autres vieilles connaissances qui interviennent également en tant que conférenciers. Daniel, chez qui j’ai passé quelques jours à faire de la photo à la Hacienda de Los Andes et surtout, Joaquin, autre astrophotographe ambassadeur de l’ESO que j’ai manqué plusieurs fois faute à d’autres engagements et qui me reconnait grâce à ma photo de profil whatsapp !!! Embrassades spontanées, génial.
Inutile de vous dire que rien que pour la vue ces ateliers valent la peine: coucher de soleil exponentiel et, à mes pieds, les lumières Santiago se réveillent. Après les consignes de sécurité en cas de tremblement de terre (!), les ateliers quant à eux sont super intéressants. On y discute de matériel, de techniques, de conseils, … On y parle de CMOS et de CCD, d’objectifs asphériques et d’ouverture ou encore de triangle de lumière ou de distance hyperfocale … Même si je me suis appliqué comme un bon élève (j’étais au premier rang … pour une fois jajaja), il est des idées que j’ai pas tout bien captées …
Au final, je suis très content d’avoir mis des mots (même en espagnol) sur des concepts que j’utilise ! Super content de constater par la bouche des pros que mes réflexes d’astrophotographe amateur étaient plutôt bons ! Et modestement satisfait de mes résultats tout à fait honorables à côté de ceux des ambassadeurs ESO. Seul me manque le ciel profond … Mais je me suis vite aperçu que je voulais m’y essayer, un nouveau challenge se présente à moi. Mes collègues Jean-Marc et Kevin de l’Astrac sont avertis ;-)
Cerise sur le gâteau, ayant tant discutaillé avec les orateurs à chaque pause et encore longtemps après que les derniers ne soient partis, la journaliste a du finir par penser que j’étais important et m’a tendu son micro, il y a donc quelquepart sur le net un astrosuizo baragouinant du chilien ...
Muchissimas gracias Sergio para la invitación y muchas gracias Joaquin para tu inspiración, porque incluso si digas que no eres un buen orador ... eres una inspiración y no voy a dejar de « mirar hasta arriba » ;-)