« L’angle parallitique semble avoir un offset qui shift par un modulo 360 sur le ztrc. Il faut revoir le template de calibration du polariseur sur le keyboard … bon ben c’est super … » Les journées s’enchaînent rapidement parfois entre ce type de discussions d’astronomes mais toujours sur fond d’Atacama, merci Julien ;-)
Il y a environ en permanence une quarantaine de personnes à La Silla dans des tournus de 5, 8 ou 10 jours. On distingue différentes fonctions. Tout d’abord, il y a tout un personnel local qui veille extrêmement bien sur notre estomac à défaut de veiller sur notre ligne, qui nous assure un bon sommeil, qui organise nos déplacements et notre confort en général. On trouve donc une cuisine, un réfectoire, des chambres, une buanderie, un atelier mécanique, un garage, une station service, des vélos, une salle de musique, une salle de sport …
Ici, tout le monde m’appelle par mon nom, on sait qui je suis non pas parce que je suis important mais parce qu’ils ont ce souci de l’accueil, et c’est vrai que ça compte. J’ai la chance de poder hablar a toda esta gente en castillano, esto me encanta ! Ensuite il y a les scientifiques: des astronomes aguerris ou novices, des « telescope operators » , parfois des européens installés au Chili mais souvent du personnel chilien, et des techniciens de station: au télescope suisse c’est Vincent que j’accompagne.
Ici se trouvent le grand «three point six» le télescope de 3,6m sur lequel est monté Harps (… je vous en reparlerai), le «NTT» New Technology Telescope, les télescopes danois: le « danish » , l’allemand le «two point two», le «Tarot» français, le «REM» italien, le «Trappist» belge, … et le suisse: «Léonard Euler».
La station suisse
La station suisse comprend bien sur une coupole abritant le télescope Euler, des locaux abritant des ateliers, les instruments, un local informatique, une salle de contrôle, une salle de bain, une cuisine et un petit salon. A l’extérieur il y a un second petit local abritant le Schwämmle: un frigo pour refroidir l’huile ...
Ici, au suisse, le niveau d’automatisation, la qualité du travail de réflexion et d’ingénierie autour de la conception de cette station et la qualité des finitions est remarquable.
Le télescope Euler
Le télescope a été construit à Genève et installé en 1998 à La Silla. C’est un miroir de 1,2m monté sur une monture alta-zimuthale. Il est abrité dans une coupole de 20m de hauteur et 8m de diamètre environ. Le télescope est posé sur un pilier ancré six mètres dans la roche. Le pilier et le télescope sont totalement indépendants de la coupole pour éviter des mouvements indésirables du télescope lié au mouvement de la coupole sous l’effet du vent qui peut être plutôt fort. Le télescope se trouve donc à environ dix mètres du sol, ceci pour éviter les turbulences dues à l’air chauffé par le sol. Entre le télescope et le pilier on trouve un micro-mètre d’huile sous pression qui permet les mouvements du télescope. De même, le miroir du télescope est soulevé par air comprimé séché au préalable pour éviter la corrosion. Euler est équipé de deux instruments de mesures: une caméra CCD: Ecam et un spectrographe: Coralie. Le choix de l’utilisation de l’un ou l’autre se fait via le troisième miroir du télescope. Au foyer Cassegrain se trouve Ecam et au foyer Newton se trouve Coralie.
Ecam est la caméra CCD du télescope Euler. C’est un capteur CCD de 16 millions de pixels valant quand même 100’000 francs. Elle est placée au foyer du télescope dans un dewar dont la température est contrôlée au centième de degré. On demande une température de -115°C grâce à du LN2 (azote liquide) et une couverture de vide. Elle est reliée à un « controller » qui va lire le CCD: combien d’électrons pour chaque pixels. Après un petit tour dans l’informatique, on aura alors un nombre de photons par pixels et donc une image. L’image peut être prise dans différentes longueurs d’ondes grâce à une roue à filtre placée devant le CCD.
Coralie est un spectromètre. Il permet après calibration à l’aide de lampes au thorium ou au tungstène de déterminer précisément le spectre d’une étoile. On peut dès lors, sur la base de l’effet Doppler, déterminer la vitesse radiale d’une étoile à 5m/s près et ainsi déterminer si une planète fait valser l’étoile autour du centre de gravité commun de ce couple étoile-planète. Grâce à Elodie, la prédécesseur de Coralie qui était montée au télescope de Haute Provence Michel Mayor et Didier Queloz ont découvert la première planète extrasolaire 51PegB.
Aujourd’hui, avec Coralie, la quête aux exolplanètes continue.
Le télescope PISCO pour "Photométrie Instantané et Simultanée avec Coralie" ... mais Pisco c’est aussi la grappa locale du Chili, salud !
Lorsque nous faisons de la spectrométrie avec Coralie, il est impossible d’utiliser Ecam pour de la photométrie car le faisceau de lumière est envoyée par le miroir 3 sur la tête de fibre de Coralie. Monté en parallèle avec Euler, Pisco permet de faire de la photométrie avec sa propre caméra CCD refroidie par un peltier pendant que Euler fait de la spectrométrie avec Coralie.
Un peu technicien de jour, un peu observateur de nuit, je me plais à faire un peu d’astrophotographie, un peu de sport et, quand j’ai le temps, assister à un lever ou un coucher de Soleil à la quête du rayon vert de Jules Verne et Jack Sparrow, faire un peu de yoga au milieu de rien ou crapahuter et courir à travers ces dunes de cailloux.
En dehors du site, il est obligatoire de partir avec une radio, de la crème solaire, un chapeau et de l’eau, … j’ajouterai beaucoup d’eau et un appareil photo pour chasser le condor, l’alpaga ou les viscaches (sorte de gros lapin à queue de renard), ou éventuellement immortaliser mon dernier selfie si je croise un puma, un scorpion ou une mygale. Mais rassurez-vous, en réalité je croise plutôt des ânes, des papillons et des lézards. Les cieux sont époustouflants, le travail est très intéressant et le temps passe vite.
Le matin parfois, après une nuit d’observations, on redescend prendre un rapide petit déjeuner et j’ai cette impression bizarre que l’on a parfois en descendant d’un avion long courrier ou le dimanche matin en racontant un rêve: il me manque des bouts, il me manque des heures de cette nuit, il me manque des heures dans ce morceau de ma propre vie … Parfois en regardant les dunes d’Atacama je ne sais plus si il est dix-sept heures ou neuf heures, si j’ai mangé ou pas, si il est le matin ou l’après-midi. Le fait de passer d’un tournus de jour à un tournus de nuit me donne le tournis et le fait de garder mes deux kids au bout d’une translation temporelle de cinq heures n’aide pas.
Rien à voir avec une concentration éthylique trop élevée, l’alcool est ici interdit, ni même avec un assoupissement exagéré. Cela relève plus d’une sorte de distorsion du temps contraire à la relativité générale de Einstein: une contraction du temps. Si il est connu que la masse distord l’espace temps en rallongeant les secondes, qu’est-ce qui pourrait donc contracter le temps ? Cela peut être la légèreté, la légéreté d'un rêve.
Ici, dans mon rêve, le temps passe bizarrement ...