J’ai gardé trois milles photos et des millions d’images incroyables. J’ai fait du papillon dans une piscine entourée du parfum de quelques James Bond girls, j’ai vu la tempête à Antofagasta, un volcan exploser à San Pedro, les peurs d’un village en face d’un Tsunami, j’ai senti des dizaines de tremblements de terre dont quelques gros à Santiago, San Pedro, La Silla ou Cordoba, j’ai mangé une pastèque géante, du quinoa agrémenté de cailloux, j’ai dormi dans des cinq étoiles, dans les aéroports, dans les avions, dans l’auditorium de l’aéroport de Miami (j’ai toujours d’ailleurs 200$ de bon chez American Airlines … si quelqu’un en a besoin … ), j’ai dormi dans un hôtel en sel, dans une voiture pendant que mon appareil photo bossait, dans des bus, dans une cave gardée par un rottweiler, dans des auberges de jeunesse, j’ai dormi dans un lit avec un inconnu devenu un ami. J’ai dormi toute la journée, plus du tout pendant 24 heures. Je me suis réveillé au milieu de la nuit pour faire un timelapse, je me suis fait réveillé par Boss le chien d’Alejandra, par la Croix du Sud, par Vénus, par le bruit de la rue, par des tremblements de terre, par le bandoneon de mon pote Max. J’ai refusé un emploi, j’ai préparé des poissons une journée durant, fêté le Chili avec les Chiliens, couru dans le désert, pris des cours de tango, chanté dans un stade à Valpo, festoyé l’arrivée prochaine d’un bébé (pas le mien), randonné au dessus de 5000, dansé casqué d'un sombrero juste pour déconner, participé à une course à pieds bien malgré moi, approché un peu plus encore le yoga, fait du VTT autour des coupoles, vécu les élections musclées. J’ai fini deux fois en caleçon chez une matrone experte de la machine à coudre qui m’a réparé mon seul et unique pantalon, j’en ai profité pour recoudre mon seul et unique sac à dos, j’ai écrit mon cours astro avec du gros son dans les oreilles purée c’était bon, j’ai bu du champagne dans l’avion en découvrant une de mes photos chiliennes dans la revue Ciel et Espace. J’ai très souvent pensé à mes proches, aux miens, à mes élèves, à mes collègues, à vous, j’ai conduit sans phares, dans le sable, au bord des ravins, fait certaines choses pour lesquelles je ne m’étais jamais pris le temps mais qui comptaient tant, j’ai vu de la glace et des dust devils, j’ai donné un cours sur l’île de Pâques, taillé un Moaï, j’ai crevé de froid dans la nuit noire, j’ai crevé de chaud dans le désert, j’ai fait de l’astrophysique avec des astrophysiciens, de l’astronomie avec des astronomes, de la photo avec les ambassadeurs astrophoto de l’ESO, de l’astrono-astrolo-philo-agro-sexo-navigologie avec des Rapanui. Je me suis présenté astrophysicien, astronome, photographe sans jamais décevoir et ai même enthousiasmé la plupart jusqu’à un célèbre Lausannois. J’ai eu ma grosse fièvre et ma tourista, une infirmière équatorienne m’a piqué, j’ai pris ma température avec le Windoo de mon pote JDC ;-). Je me suis laissé raser par deux mamies plus habituées aux permanentes, je me suis fait faire des lunettes, j’ai fait la plonge pour payer chichement un superbe séjour et de superbes pizzas, grazie O Ziiii. J’ai bu un pisco sour que j’ai expulsé de tout mon corps et le lendemain je sentais encore son coup de boule, j’ai cumulé des miles (pas fier) pour parcourir une première fois le Chili en avion, je l’ai parcouru une deuxième fois dans les semi cama des bus et une troisième fois en voiture sur plus de 5000km de cette superbe panaméricaine et me suis vu retirer mon permis avant de prendre en pitié le bon officier pour poursuivre mon chemin. J’ai pisté des dust devils aux allures de tornades, j'ai vu des extraterrestres, un coureur fou passer chaque soir des semaines durant dans le désert, des dizaines de couchers de soleil et autant de levers. J’ai eu peur des pumas, d’un chien tout doux mais qui avait la tronche d’un monstre de sang. J’ai vu deux condors, des loups de mer, des viscachas, des lamas, des vicuñas, des Moaïs, un ému, des vautours, des pélicans, des flamands roses, des papillons, des pingouins, des loups de mer, des cormorans, des fous de bassan et autres fous en tous genres, un chameau, des dauphins, une baleine, des thons, des reinettes, du ceviche … ah non je m’égare … J’ai aussi et surtout vu des ânes, des télescopes et des étoiles, ... Alors que je classais mes photos à La Silla, Vincent m'a dit un soir: « Deux millions d’ânes, des milliards d’étoiles et une vingtaine de coupoles, voilà tu as résumé tes cinq mois » ;-)
C’est fini … super heureux, je décolle !!!
Je quitte Santiago une dernière fois. Une musique mélancolique voire pathétique me pique. Je traverse des quartiers longuement arpentés, aujourd’hui connus et appréciés. Dehors, le trafic virulent et musclé glisse, les Chiliens s’activent, les pelouses arrosées, les bus d’un autre temps déversent des lots de travailleurs à peine réveillés, les candélabres s’éteignent sur des chiens de rue nuit et jour avachis, paralysés, mortifiés, …
J’ai passé trois fois deux mois magiques, hors du temps, hors de la vie, pour savourer, dévorer, voler …
Tous les objectifs annoncés ont été très largement atteints:
Si je retiens un best of, je citerais ma première sortie nocturne à Paranal en découvrant le ciel austral indicible (j’ai quand même du vociférer quatre voire cinq fois de suite « péripatéticienne » en langage édulcoré !), je citerais aussi Monsieur Claude qui se roule par terre pour faire des photos dans le désert d’Uyuni, ou mon cours d’astronomie devant des élèves de l’île de Rapanui, ou encore les nuits à guider les touristes de la Tarentule à Orion, en passant par la Lagune et Uranus, … J’ai vécu des moments incroyables, mon rêve se termine dans ce taxi, ou alors plus fort encore il me lance plus loin, je décolle ? …
Vivi mi Chile !!
J’ai très largement conscience depuis longtemps, qu’en étant en bonne santé, éduqué, hors du besoin et des guerres, je suis privilégié. Qu’en étant entouré d’une famille et d’amis, je suis privilégié. Qu’en pouvant me réveiller chaque matin en pouvant décider de ma journée, de mes actes et de mes choix, je suis privilégié. Qu’en ayant la capacité de donner vie à des pensées, des idées, des projets, je suis privilégié. Me réveiller devant l’Atacama pour aller faire de l’astronomie était un rêve. En ayant vécu ce rêve j’entre dans le lot des privilégiés parmi les privilégiés. Merci à tous ceux qui par leur « oui » m’ont permis d’échafauder et de concrétiser ce rêve. Merci les chouchouxx, merci Pama, merci Tania, merci à mes partenaires de l’astronomie: Stéphane Udry, Francesco Pepe, Claude Nicollier, Julien Girard, Alain et Alejandra Maury, MERCIIII !
Pensant à mon joyeux retour, un pincement ému sur ma banquette de taxi me rappelle tous les précédents départs éternels: mon ultime au revoir à La Silla et la descente sur La Serena, mon départ du SpaceObs, mon adieu médaillé de mille concha de tu madre et entouré d’amis à Rapanui, … j’ai croisé des personnes géniales, very smart people, maintenant je les ai tous salués une dernière fois: Julien le boss de Sphère à Paranal, Pancho el Loco et sa famille, Miguel et sa femme Aminta, ses enfants, Jaime et sa femme, la Abuelita, Gabriel, Karola, Nano, Mister Vince, mes amis des hauts plateaux et des nuits claires, mon camarade de camp JeanDa, l’excellent Markus et Monsieur Claude, mes chefs Alain et Ale au petit matin après une nuit d’étoiles. J’ai salué Tote le Rapanui, Galvarino, Marcelo, Jalil et Braulio mes collègues profs de physique de l’île de Pâques, de Cordoba et Santiago qui se joindront je l’espère à notre Challenge International de Physique, mon super guide Olivier, Noah et Arlette deux suisses rencontrés dans un bus en pleine Cordillère, Daniel, David, mon taxiste de San Pedro Benjamin, mes hôtes Alejandra à Santiago, Luciana à Cordoba, ma guide Victoria à Santiago, ... les astrophotographes Jose Joaquin, Sergio, Alessandro … Merci à tous. Fonçant vers mon retour je souris et resplendis, j’ai vécu mon Chili. Muchas gracias a todos, estan todos los bienvenidos en mi casa en Suiza. Et comme le disait mon pote Palma: « L’Italie c’est le sud de l’Europe mais le Chiliiiiiii …. c’est le Suuuuuud du Monnnnnnnde !! », Adios Muchachos, vivi mi Chile !!
Smart people !
En septembre, lors de mon premier retour, mon amie Sandrine me demandait déjà: « ça va vraiment booster ton enseignement ? » Je lui avais dit sans conviction que … « ptêtre le voyage … ptêtre le fait que mon remplaçant cartonne et qu’il me met la pression pour encore mieux faire … ». Maintenant que je suis rentré, que j’ai réouvert mon aide-mémoire de maths et photocopié des centaines de fiches d’exercices, … je me délecte des sourires, questions et autres bêtises de mes élèves ! Oui Sandrine: ces cinq mois m’ont fait beaucoup de bien, sans tout de même avoir ressenti le manque de la poudre de craie, je me sens tout aussi vivant et virevoltant enfermé dans une salle de classe avec mes 23 ados que perdu au milieu de mes ânes dans le noir tout là-haut. Cette petite escapade m’a boosté et a boosté mon enseignement.
Après le rouge du désert, le bleu du ciel, le vert des montagnes, le violet du Desierto Florido, le noir de la nuit. Après avoir parlé espagnol avec les Chiliens et le Chili, ils m’ont appris les « chilenismos » et j’ai souvent jubilé quand mon castillan était complimenté ! Après avoir parlé anglais avec des astrophysiciens, allemand sur les hauts plateaux, portugais avec des brésiliens voyageurs de l'espace, suisse allemand avec Arlette, italien avec Alessandro. Après avoir traversé la Pampa, la Cordillère, des bouts de Pacifique, les hauts plateaux, l’Atacama ahhhh l’Atacama ! Il y a quelque chose là qui m’hypnotise … rien que l’évocation de ce nom m’imprègne de mille saveurs exotiques, d’aventures et de promesses qui m’évadent, je ne sais pourquoi, je le sens cet Atacama, je me sens Atacama … Il y a peu je te saluais et entrais dans cette aventure plein d’enthousiasme, les crocs au coeur et les yeux avides d’étoiles. Derrière la vitre de mon taxi dans les rues de San’Hattan, les bouquets de gamins en uniforme qui vont, joyeusement, à l'école des produits remarquables et autres règles de grammaire plein la tête, me ramènent en classe … je devais forcément bientôt y retourner et retrouver mes élèves … mes smart people à moi.
Posé devant les multiples écrans à La Silla, Daniel me disait l’un des plus beaux aspects de son métier d’astrophysicien: « I’m always meeting such incredibly smart people » … « Moi aussi » je lui avais répondu … oui je suis boosté devant mes élèves ... ce sont mes smart people à moi !
Mon voyage, mes errances ...
Quelle est la vraie motivation du voyageur qui met des milliers de kilomètres entre lui et ses proches, qui bascule volontairement dans un autre environnement géographique, social ? Est-ce que la réalisation de ce cours d’astronomie est l’objectif principal ou le prétexte à une recherche plus centrée sur l’individu ?
J’ai promis de te répondre: non Jean-Luc, la réalisation de ce cours d’astronomie n’est clairement pas l’objectif premier de ce voyage. Il n’est pas même non plus le prétexte à une recherche centrée sur la bête: moi, en l’occurence. Tout au moins au départ, car force est de constater que oui je me suis rencontré un peu plus durant ces cinq mois. Durant ces cinq mois, je n’ai pas eu beaucoup de temps, mais j’ai eu du temps différent: du temps pour penser différemment et pour apprendre à penser différemment: le vide, le silence, le ciel, … du temps différent pour penser d’autres choses et pour panser d’autres choses: ce cours, mon job, la vie, ma vie … du temps différent pour prendre conscience et ouvrir la conscience: d’autres activités, d’autres rêves, toutes ces cordes que nous avons chacun à tellement d’arcs … J’ai toujours adoré les journées ou tour à tour je suis prof, papa, mécano, cuisto, jardinier, pizzaïolo, … ça stresse mais ça me fait exister, … exister par le faire, il est peut-être temps d’exister par la seule conviction d’être capable de faire, sans vouloir plus rien prouver, sans attendre aucun reconnaissance … je n’en suis certainement pas capable encore, … mais j’en prends trèèèès lentement conscience … différemment … vivre et exister en donnant et offrant du temps en offrant des yeux pleins d’étoiles …
Ma motivation au départ était une aventure certes stellaire mais surtout de liberté qui m'était inconnue. De stellaire cette aventure a glissé insidieusement vers une aventure vitale, de vie, de rêves à venir. Je suis rentré mais j’ai encore des étoiles plein les yeux … mille projets professionnels, passionnels, de voyages et d’errances, …
Dans l’immédiat ce sera un article dans l’Echo, une conférence pour les passionnés de l’Astrac, le cours enfin en live, …
Une soirée photo certainement, l’édition du cours si possible, un cours astro pour les copains peut-être: Danièle, Jean-Louis, Vince, … j’y pense, si d'autres sont intéressés dites-le moi ;-)
Mais ce sera sans aucun doute aussi mes mille et une autres envies d’astrophotographie avec les astrophotographes au Gran Telescope des Canaries, d’astronomie tout azimut, de gymnase, d’expo photo, de livre, de Cap Nord en vélo, d’Australie, …
ah oui … et de Ducati ;-)
La vida es un Carnaval
Six mois c’est long … mais c’est vite mangé quand c'est dévoré. C’est long quand je pense à mes proches, mais c’est vite passé tant il y avait à voir, à faire, à vivre. Je me suis rendu compte à quel point ce fut long quand j’ai vu ma petite nana se faire belle comme les grandes pour sortir au resto, ou encore quand j’ai rejoué au foot avec mon gars et que je n’ai pas du le laisser marquer pour le voir sourire.
C’était donc le pied, mais … en regardant mon pilote dans son rétro, je me sens tellement plus proche de ce taxiste de Santiago que de l’astronome de Londres. Serait-ce pour sa langue, pour ses origines latines, pour la dextérité virulente de ses pétons qui m’accélèrent sur les cinq voies des autoroutes citadines comme sur une piste des étoiles ? Loin des astronomes qui auscultent passionnément jusqu’aux lignes de chiffres de leur ticket de supermarché et qui préservent leur boarding pass dans une fourre en plastique entre leur passport et leur flight plan, je suis autre. J’ai vécu un de mes rêves mais devant dix écrans n’est pas ma place, mon job est en face de mes élèves. Il est des missions nobles: découvrir des autres mondes ? peut-être, opérer le coeur d’un jeune ? forcément, remonter le moral d’un ami blessé ? toujours, … Mon job à moi c’est aider les petits jeunes que quelqu’enclassement fortuit me confie à s’épanouir pour qu’ils puissent faire leur place dans ce monde et y laisser leurs traces plus ou moins modestes, en étant smart … toujours …
J’ai beau avoir vu les plus beaux couchers de soleil devant des dunes d’Atacama sans fins, admirer des étoiles à ne plus savoir où regarder, mesurer des autres mondes, mon monde n’est pas dans les étoiles. Ma vie est auprès des miens, je n’étais que sur un tremplin …
Mon taxi aligné avec quatre autres bolides noir et jaune (ah tiens ... comme ma Ducati !!) devant les piétons empressés, je suis moi aussi sur une nouvelle ligne de départ qui me ramène vers mes enfants mais je vais continuer à défoncer les portes: demander l’impossible et remarquer encore et encore que souvent on se voit alors invité à rêver car chaque porte ne demande qu’à être ouverte … je vais continuer à dévorer la vie. De prochaines aventures approchent déjà, plus ou moins exotiques, mais miennes toujours et encore.
A ceux qui pensent que ça va être dur de rentrer, de revenir dans ma routine, de recommencer à travailler « normalement », je leur dis que oui: ils ont raison. En effet, cela va être très dur, mais pas pour les raisons qu’ils imaginent. Ce qui va être dur est d’oublier ce rêve que j’ai vécu et surtout, maintenant que je sais combien tout est possible, il va m’être totalement impossible de faire taire tous les autres projets que je veux encore réaliser …
Merci pour m'avoir lu et suivi, merci de m'avoir envoyé un mot ou de m'avoir envoyé une belle pensée. Je me réjouis de vous retrouver et de vous raconter tout ça autour d’une pizz’ ou d’un thé y: « En un beso sabran todo lo que hé callado » !
Parece que la vida es un Carnaval, disfruta la, hasta luego,
Eurrrrrenio de Chiiiiile