Il est 16 heures, le Soleil se riant de l’hiver tape toujours très fort, je suis paumé dans un atelier du désert de San Pedro. Je façonne à la lime un tournevis rudimentaire de 1mm pour revisser une bague de mon canon qui se languit de photographier une déesse Aphrodite l'aube prochaine.
Arrivé il y a quelques jours au SpaceObs de Alain et Alejandra, on m’a installé dans la Lodge 1 entre l’Atacama et des volcans hauts perchés dans le grand Nord du Chili. J’ai vite compris que j’étais dans un super bon observatoire touristique.
Mon job ? Vous l’aurez compris, nul besoin de moi ici tant l’affaire est super bien rodée. Mais Alain, français et ancien de l’ESO, me donne la chance d’entrer dans son équipe, très rapidement d’ailleurs ... Première rencontre: il est 17 heures, le boss vient de se réveiller après une nuit de boulot à guider les astrotouristes et à gérer, réparer, améliorer son parc de télescopes. Après une brève discussion, une virée à San Pedro pour recueillir les roulement à billes des motorisations fraîchement arrivés à la poste. Au retour, la famille de français de la Lodge 4 demande si il est possible de faire un tour astro … Alain est bien emprunté, il y a déjà cinq tours cette nuit bien assez voire trop de monde qui va s’affairer aux télescopes, mais ayant bien envie de satisfaire ses clients: « Ah ben il va s’en occuper … » leur dit-il en me montrant du regard … rendez-vous est pris: je suis enrôlé comme guide astronomique, merci Alain pour ta confiance. Allez, il est donc l’heure de se mettre au travail !
L'observatoire public
Il y a là une dizaine de télescopes: des Meade de 20cm, des lunettes, quelques Dobson de 45cm, de 60cm et … le plus grand télescope public d’Amérique du Sud: un Dobson de 72cm !
Le plus grand, mais plus pour longtemps. Car Alain, aussi compétent en astronomie, en vulgarisation, en mécanique, en optique ou en électronique a dans son atelier une perle: un miroir de 1m15. D’ici quelques mois, une fois monté et robotisé, ce nouveau télescope ravira les touristes de ce ciel immaculé, parce que oui, en astronomie: « Size does matter » !
L'observatoire privé
Ici, il y a aussi 16 coupoles privées que des Canadiens, des Polonais, des Russes, ou autres Italiens, Français, Américains ou Belges en mal de stars ont équipé de télescopes robotisés et placés sous la responsabilité de mes hôtes pour pouvoir faire de l’astrophotographie ou de la recherche scientifique depuis nos contrées lumineusement plus polluées et météorologiquement moins gâtées. Ainsi donc, durant la nuit, alors que les touristes écoutent plus ou moins sagement nos explications, les coupoles, comme de blancs fantômes, s’ouvrent pour laisser les télescopes se gaver de lumière en faisant mille pirouettes. Ils mesurent alors des transits et des anti-transits pour détecter des planètes extra-solaires, recherchent des comètes, étudient les étoiles variables ou les météorites transneptuniens, on a d’ailleurs découvert ici le premier météorite ayant des anneaux ou encore déterminé la taille de Eris … oui, car l’astronomie est l’une de ces rares sciences dans laquelle les amateurs peuvent faire des découvertes … Bref, je suis bien tombé !
Début de soirée
19h30, le soleil se couche, la journée commence ! Les télescopes sont découverts, on enlève les raccords coudés des Cassegrains pour laisser sortir l’air chaud (histoire de turbulences pour ceux qui ont suivi …) et on prépare les oculaires. Déjà les premières étoiles s’allument: Antarès, Véga, Altaïr et Dénèb pour ne pas être dépaysé. Puis Alpha du Centaure, Béta. Saturne, très basse sur l’horizon nous ravit encore de sa présence. Le Scorpion s’allume faisant fuir Orion. Pégase, le Cygne et l’Aigle s’envolent … Pas de Lune cette nuit, la Voie Lactée incroyable resplendit. 20h30 le premier bus arrive.
La nuit
Durant une heure, Alejandra, Alain ou Lass, en anglais, espagnol ou français, vont expliquer le ciel à ces touristes du ciel. L’hémisphère sud, l’hémisphère nord, les rotations, le zodiaque, les constellations, les planètes, la Voie Lactée, … Durant ce temps, je pointe les télescopes sur des objets célestes que je connais ou qu’on m’a patiemment situé dans le ciel: Saturne, la Nébuleuse d’Orion, la Galaxie d’Andromède, la Nébuleuse de la Tarantule au sud du Grand Nuage de Magellan, celle de la Lagune dans la vapeur de la théière, l’amas globulaire Toucan 47 au Nord du Petit Nuage de Magellan, Antarès et Véga, Dumbell, Hélix, les Pléïades …
Alors qu’un deuxième bus d’astronomes en herbe arrive, enfin le premier groupe s’approche de moi. Après un tour des différents télescopes et une explication des objets qu’ils vont y voir, c’est parti !!! Il s’agit d’expliquer à chacun ce qu’il est en train d’observer: une région de formation stellaire, un cadavre d’étoile, des jeunes étoiles, un amas globulaire ou ouvert, une super géante rouge, une étoile très chaude, une planète, … Et, tout azimuts, de répondre à leurs questions parfois basiques, parfois puissantes, de leur expliquer comment devenir astronome, la différence entre un astronome et un astrophysicien, le travail d’un astrophysicien, de conseiller certains plus jeunes sur le chemin permettant de s’approcher de l’astronomie, d’expliquer les grands observatoires professionnels et … irrémédiablement d’expliquer ce qu’est un trou noir ;-) Ainsi donc, volant de télescopes en télescopes, je réponds, je m’assure que chacun voit ce qu’il y a à voir, je repointe les télescopes non encore motorisés sur leur cible, … ici les boss disent que c’est « Monkey Time » … De fait, pendant que mes collègues bossent sans moi, que mes parents s’inquiètent de ce que je deviens et que mes gosses comptent les jours, je fais le singe à l’autre bout du monde !
Même si durant les premières nuits la difficulté a été pour moi de zapper de l’espagnol à l’anglais ou du français à l’allemand, pire encore au portugais, car j’ai eu la prétention de penser que mes quelques mots de brasileiro appris l’an dernier avaient pu s’incruster dans mon petit cerveau déjà errodé … j’adooooore !!
Après une heure à arpenter le ciel, il est l’heure de se mettre un instant au chaud de boire un chocolat chaud avec des paires d’yeux fatigués mais étincelants, et de répondre encore à quelques questions. Déjà le prochain groupe est prêt à s’émerveiller, je ressors et ainsi passe la nuit.
Ce soir là nous attendons un groupe de Brasilenhos. Ils sont guidés par le premier astronaute Sud Américain, le brésilien Marcos Pontes. Pris entre les télescopes, j’en viens à oublier la présence de cet hôte tant attendu et ce n’est qu’au petit matin que je m’avance à demander à un groupe de brésiliens si il y a bien un astronaute parmi eux. Et bien non, il n’est pas là, mais le type à qui je demande, Rynaldo, m’explique le plus simplement du monde qu’il va lui aussi aller dans l’espace, qu’il a acheté le billet numéro 730 de Virgin Galactic, que son vol est prévu pour 2017 (si il n’y a pas de nouvel accident …) et qu’il y a dans le groupe un deuxième futur touriste de l’espace: Marcos. Longs échanges avec les deux intrépides à la poursuite de leur rêve. Ils ont des étoiles plein les yeux, passionnant !
Si quelqu’un souhaite s’envoyer en l’air, qu’il m’appelle ... (!) ... j’ai la carte de Marcos qui s’est avéré être un agent spatial accrédité de Virgin Galactic, à bon entendeur ;-)